L’histoire mythique du Taijiquan a été écrite tardivement. Les nombreux manuels qui ont parus en Chine à partir des années 1920 ont popularisé cette légende ensuite colportée en Occident. Il s’agit de L’épitaphe à Wang Zheng San feng, un court texte daté de 1669 dans lequel le lettré Huang Zongxi (1610-1695) évoque la vie d’un maitre d’arts martiaux héros de la résistance contre l’envahisseur mandchou. Son traité intitulé Méthode de boxe de l’école interne expose la première mention historique de l’opposition, devenue proverbiale, entre cette école ′′interne′′ et l’école ′′externe′′ des bonzes du monastère Shaolin qui, au contraire, se caractériserait par un usage immodéré́ de la force physique. Depuis les années 1980, les historiens du Taijiquan s’accordent à penser que certaines parties de ces écrits sont allégoriques et dissimulent des sentiments antimandchous. La légende du Taijiquan comme art taoïste créé par l’ermite Zhang San feng a été́ popularisée en Chine à partir des années 1910. Dès 1911, année de la proclamation de la première république chinoise, Xu Longhou avait réuni les principaux maitres de Taijiquan au sein de son association de recherche sur la culture physique.
L’histoire officielle du Taijiquan prend sa source dans les travaux des historiens Xu Zhidong et Tang Hao, ce dernier trouvant un successeur en la personne de Gu Liuxin. Cette histoire officielle néglige curieusement un point capital. En effet, à la différence des auteurs des textes de la boxe de l’école interne, il n’apparait nulle part dans les écrits collectés à partir des années 1930 que Chen Wangting aurait créé consciemment un nouvel art martial baptisé du nom de Taijiquan. Parmi les nombreuses techniques dont on lui attribue la codification, l’une d’elle, les ′′treize postures′′, a fourni le patron à partir duquel chaque école de Taijiquan élabora son propre enchainement. En outre, dans ces documents ne se trouve aucun exposé de la théorie d’un art dont le nom emblématique resta ignoré des membres du clan Chen jusqu’à l’orée du XXe siècle. C’est vraisemblablement le succès croissant du Taijiquan à Pékin après la chute de la dynastie Qing et le fait que Yang Luchan, le premier maitre renommé de cette discipline, avait étudié́ la boxe à Chenjiagou qui incita des experts de ce village à gagner la capitale et à se présenter comme les détenteurs de la technique originelle. Chen Xin, entreprit en 1908 de rédiger un traité achevé́ en 1919, les Explications illustrées du Taijiquan du clan Chen qui est le premier texte du clan Chen à identifier la boxe de Chenjiagou comme plus ancien style de Taijiquan. Son travail fut prolongé par Tang Hao et Gu Liuxin, tous deux membres du parti qui élaborèrent ainsi une histoire officielle compatible avec une idéologie révolutionnaire. Curieusement, de nombreux chercheurs, à commencer par Tang Hao lui même, s’accordent à penser que la boxe du village de Chenjiagou fut influencée par celle du monastère Shaolin qui se trouve dans une région voisine. Ces apports expliquent certainement le caractère rude des pratiques martiales ancestrales de Chenjiagou tel qu’il apparaissait encore dans les exhibitions de Chen Fake et Chen Zhaopi à la fin des années 1920. Ces deux experts diffusèrent par la suite leurs techniques dans des grandes villes du pays sans plus avoir de contacts entre eux. Il est évident que les pratiques développées par les héritiers de Chen Fake et Chen Zhaopi évoluèrent sous l’influence des autres écoles de Taijiquan, l’historien Gu Liuxin et d’autres auteurs contribuant à la métamorphose du style Chen de Taijiquan par un important travail théorique. La renaissance de Chenjiagou en tant que berceau du Taijiquan fut la conséquence d’une volonté́ politique, le village profitant des efforts du gouvernement du Henan pour promouvoir les centres provinciaux de la pratique des arts martiaux et en particulier le site du célèbre monastère Shaolin.
Taiji quan, c’est d’abord un nom qui se traduit en français par ′′boxe du Faîte suprême′′ en référence au principe premier de la cosmologie chinoise qui se manifeste par l’action du yin et du yang. Le nom Taiji était aussi celui de l’empereur mandchou Huang Taiji qui régna de 1627 à 1643 ce qui fait qu’il était interdit et ne pouvait par conséquent pas être utilisé. Pourtant, les premières mentions du terme Taijiquan figurent dans de courts traités rédigés sous le pouvoir mandchou qui exposent la théorie de cet art martial alors ignoré en dehors de cercle très restreints. Les auteurs de ces textes sont des lettrés appartenant à une même famille, les Wu de Yongnian dans la province du Hebei. Parmi ces trois frères, deux furent reçus aux examens mandarinaux. En comparaison des réussites de ses frères, le cadet, Wu Yuxiang (1812-1880), fait figure de raté de la famille ce que semble confirmer son activité reconnue d’adepte des arts martiaux. Pendant longtemps on ignora le rôle des deux autres si ce n’est que Wu Chengqing aurait découvert fortuitement en 1852 le premier traité de Taiji quan, le Taiji quan lun attribué à un certain Wang Zongyue, et que Wu Ruqing aurait recommandé́ le boxeur Yang Luchan auprès des garnisons militaires de la capitale. Plus précisément, il conviendrait de dire que Wu Chengqing est le premier à avoir fait connaitre le nom de Taijiquan dont il n’existe aucune mention antérieure à 1852. Il prétendait avoir découvert le Traité du Taijiquan dans un dépôt de sel placé sous sa juridiction à Wuyang. Son frère est quant à lui associé à l’entreprise de diffusion du Taijiquan qui fut l’œuvre de Yang Luchan et de ses héritiers jusqu’à la fin de la dynastie Qing. En fait, non seulement les frères Wu sont à l’origine de la découverte et, en quelque sorte, de la propagation du Taijiquan, mais il a été́ démontré́ qu’ils jouèrent un rôle clé dans l’élaboration de la théorie de cet art comme l’attestent les textes qui leurs sont attribués. Les mandarins qui baptisèrent le nouvel art martial du nom de Taijiquan jouèrent un rôle probablement important dans la préparation de Yang Luchan avant que celui-ci en introduise la pratique dans la capitale. Ce dernier emporta à la fois ses connaissances martiales, dont on peut préjuger qu’elles ne se limitaient pas à reproduire les techniques développées à Chenjiagou, et un corpus des textes classiques qui fondent véritablement l’art du Taijiquan.